L’acheteur public peut empêcher une entreprise de soumissionner à un marché public. Cette sanction est d’une durée limitée (3 ans) et consiste à créer une liste noire (blacklist) des entreprises entrant dans un des cas d’interdiction de soumissionner prévus par le code de la commande publique.
Ces interdictions constituent des atteintes directes au principe de la liberté d’accès des entreprises à la commande publique. Elles sont donc limitativement prévues par la réglementation.
Il en existe de 2 ordres d’interdiction de soumissionner:
- Celles obligatoires
- Celles facultatives
Les interdictions facultatives sont listées aux articles L. 2141-7 à L. 2141-11 du code de la commande publique. Je vais me concentrer sur le cas des manquements graves dans l’exécution d’un marché antérieur.
Je laisse, donc, de côté, sciemment, les autres motifs que sont la suspicion d’entente, le conflit d’intérêts, les manœuvres anticoncurrentielles et la rupture d’égalité en les candidats découlant de la participation en amont à la préparation d’un marché. Ces pratiques impliquent à mon sens une dimension intentionnelle, ce qui n’est pas forcément le cas des manquements en cours d’exécution du marché.
Je ne suis pas avocat et je n’entends pas me substituer à cette profession en distillant mes conseils.
Je reste sur les bonnes pratiques et les corrections à apporter lorsque la situation dégénère. L’objectif est d’éviter de donner de la matière à l’acheteur public et se mettre dans le trou tout seul.
On examine, donc, dans un 1er temps, les manquements pouvant servir à l’acheteur public pour te « blacklister » dans le futur.
Dans un second temps, nous verrons comment il est possible de contrer la constitution d’un dossier à ton encontre.
Quels manquements graves en cours d’exécution de marchés peuvent engendrer un blacklistage
Une des plus grandes craintes des entreprises titulaires de marchés publics est qu’une erreur de parcours, dans l’exécution d’un marché, leur en interdisent l’accès pendant les 3 années à venir.
Or, personne n’est jamais à l’abri d’un dysfonctionnement temporaire dans l’exercice de son activité quel qu’en soit la raison.
Les causes peuvent être multiples :
- on a accepté un peu trop de contrat en même temps,
- un contrat s’est décalé dans le temps et c’est la goutte d’eau de trop,
- l’organisation prévue est mise à mal par l’absence d’une personne ressource
Bref, ce n’est pas forcement du “je m’en foutisme” ou un manque de professionnalisme de la part de l’entreprise titulaire. Ça s’appelle les aléas de la vie et ça touche également l’activité professionnelle.
Un homme averti en valant toujours au moins 2, examinons les manquements concernés.
L’article L2141-7 du Code de la Commande Publique précise que “L’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes qui, au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnées par une résiliation ou ont fait l’objet d’une sanction comparable du fait d’un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l’exécution d’un contrat de la commande publique antérieur.”
Une résiliation pour “manquement grave ou persistant aux obligations contractuelles”
Il s’agit en définitive de la résiliation pour faute. Elle n’ouvre pas droit à indemnité puisque, par définition, il y a faute de l’entreprise.
Cas de résiliation pour faute précisés dans le CCAP
Le CCAP mentionne les manquements qui peuvent entraîner la résiliation pour faute. Les CCAG Marchés publics mentionnent également des motifs de résiliation.
Pour rappel, il y a un CCAG par nature de marché :
- Travaux
- FSC – Fournitures et Services courants
- PI – Prestations intellectuelles
- TIC – Techniques de l’information et de la communication
- Marchés Publics industriels
Si le CCAP fait référence au CCAG correspondant et si l’article dédié à la résiliation pour faute du CCAP ne déroge pas aux articles du CCAG, les dispositions du CCAG s’appliquent.
Tu l’auras compris, encore une fois, il te faut bien lire le CCAP sur ce point afin de savoir quelles possibilités s’est ouvert l’acheteur public.
Un petit aparté pour les marchés “publics” passés par des acheteurs publics de droit privé (type SNCF, ADEME, SA HLM etc).
Ces entreprises de droit privé ne peuvent pas se prévaloir des CCAG “marchés publics “ dans toutes leurs clauses. C’est le cas des clauses conférant des pouvoirs dits exorbitants du droit commun.
S’il existe un CCAG Marché privé de travaux, il n’y pas d’équivalent pour les autres natures de marché.
Par conséquent, une pratique courante consiste à viser les CCAG Marchés Publics mais uniquement certaines de leurs dispositions (non exorbitantes bien évidemment). En principe, tu trouves la mention au CCAG Marché publics dans l’article “documents contractuels” du CCAP de ton marché. Il sera accolé la mention “ dans ses dispositions ci-après précisées « .
C’est le cas des motifs de résiliation. Viser un CCAG évite à l’acheteur de recopier ce qu’il existe par ailleurs. Il n’aura qu’à compléter éventuellement ces clauses dans le CCAP du marché.
Je me répète, mais, lis attentivement les CCAP des marchés auxquels tu réponds.
Certaines clauses peuvent avoir de lourdes conséquences ou au contraire sont mal écrites et là, c’est un boulevard que tout le monde ne voit pas qui s’offre à toi. Cela peut te permettre de moduler ton prix, le cas échéant. Il y aura soit renégociation (avenant) soit prestations plus “lights” que prévues.
Un arrêt très intéressant sur ce point est un arrêt de la Cour Administrative de Bordeaux en date du 13 juillet 2017 (CAA Bordeaux, 13 juill. 2017, n° 15BX03067, n° 16BX01174, Cne Castelnau-de- Médoc)
Aux termes de l’article 32-1 du CCAG fournitures courantes et services, le pouvoir adjudicateur peut résilier un marché pour faute du titulaire dans une telle situation. Mais faute pour les documents contractuels de se référer expressément à ces stipulations, celles-ci n’étaient pas applicables au marché en litige.
[On est bien dans le cas de figure expliqué dans le paragraphe ci-dessus].
Dès lors, seule une faute d’une gravité suffisante était de nature à justifier la résiliation du contrat aux torts exclusifs de son titulaire. Or, si la commune fait grief à la société Médoc Informatique de ne pas avoir assuré la confidentialité de ses données, ce manquement ne pouvait pas être formulé à l’encontre de la société dès lors qu’une telle obligation n’est prévue par aucune stipulation contractuelle.
Ce 2nd paragraphe m’offre la transition rêvée pour te parler du 2nd cas de figure.
Résiliation en cas de silence ou cas non prévu par le CCAP : la faute d’une gravité suffisante
L’acheteur public a toujours la possibilité de résilier pour faute un marché même dans le silence du contrat depuis un arret de 1983 .(pour les curieux, la référence est la suivante :CE, 30 sept. 1983, n° 26610, Comexp). Mais cette faute doit être d’une gravité suffisante.
Je reprends le 2nd argument de cet arrêt de la CAA de Bordeaux :
Seule une faute d’une gravité suffisante était de nature à justifier la résiliation du contrat aux torts exclusifs de son titulaire
Cette condition n’est pas nouvelle. (CE, 26 févr. 2014, n° 365551 et n° 365546, Sté Environnement services) mais quelles caractéristiques doit revêtir cette faute d’une gravité suffisante ?
Les motifs de la résiliation sont contrôlés par le juge. Par conséquent, c’est bien la jurisprudence qui dessine les contours de la “gravité”.
La faute doit être caractérisée et présenter un degré de gravité suffisant pour justifier la résiliation.
Cette faute doit correspondre à un manquement à une obligation contractuelle (CAA Bordeaux, 13 juill. 2017)
Cette faute doit également être proportionnée (CE, 10 févr. 2016, n° 387769, Sté Signacité )
1 – Manquement à une obligation contractuelle clairement identifiée dans le cahier des charges.
Pour qu’il y ait faute, il faut qu’il y ait un manquement à une obligation contractuelle,
Autrement dit, si pas d’obligation contractuelle X, pas de résiliation pour manquement à l’obligation X,
En l’espèce, l’obligation aurait pu “couler de source”. Et bien non, si ce n’est pas écrit ce n’est pas invocable par l’acheteur public.
2 – la faute doit représenter un degré suffisant de gravité
Autrement dit, la sanction de résiliation pour faute doit apparaître comme proportionnée par rapport à la faute commise pour être valable.
Seule une faute d’une gravité suffisante est de nature à justifier, en l’absence de clause prévue à cet effet, la résiliation d’un marché public aux torts exclusifs de son titulaire » CE, 10 févr. 2016, n° 387769, Sté Signacité.
La résiliation pour faute est la sanction la plus grave qui puisse être prononcée à l’encontre du titulaire d’un contrat.
De fait, elle ne peut être mise en œuvre qu’après une mise en demeure du titulaire du contrat, si le contrat le prévoit ce qui en principe le cas. Il y a tout un crescendo habituellement prévu.
En l’absence de clause prévue à cet effet, seule une faute « d’une gravité suffisante » permet à l’acheteur public de résilier un marché pour faute.
Le caractère injustifié de cette résiliation peut ouvrir au cocontractant deux voies d’action :
- demander la poursuite des relations contractuelles
- l’action indemnitaire consistant pour le requérant à demander réparation du préjudice subi du fait de l’usage irrégulier par la personne publique de son pouvoir de sanction.
Une action en justice condamnant l’entreprise titulaire du marché à verser des dommages et intérêts à l’acheteur public (ou à son subrogé)
Je ne vais pas m’étendre sur le sujet car le critère est très factuel.
Si tu as été condamné à payer des dommages et intérêts suite à une erreur commise dans l’exécution d’un marché public, tu es forcement au courant.
Ta responsabilité (contractuelle, décennale, biennale) a été mise en cause par l’acheteur public lui-même ou son assureur (subrogé de plein droit dans tous les droits et actions que son assuré selon la formule consacré).
La condamnation doit être définitive c’est à dire terminée et sans possibilité de recours encore ouvert.
Bien évidemment l’issue de l’action doit avoir abouti à la condamnation de l’entreprise au paiement de dommages et intérêts.
Caractéristiques et mise en œuvre de la sanction
Caractéristiques de la sanction
Caractère temporel : durée de la sanction
La sanction, si elle est fondée, s’applique pendant 3 ans à compter des faits qui sont reprochés à l’entreprise.
Caractère organique : manquement sur un contrat passé d’un acheteur public donné ou d’un acheteur public lambda
Le régime antérieur impliquait que la mauvaise exécution affecte un marché précédent liant l’entreprise intéressée et l’acheteur public.
Son champ est plus large dans le code de la commande publique puisque la mauvaise exécution peut affecter un contrat de la commande publique conclu par un autre acheteur public.
Cela signifie qu’un fichier régional voire national pourrait être constitué “blacklistant” les entreprises concernées. Ce registre devrait contenir les motifs qui ont conduit à cette “mise à l’écart” de l’entreprise ainsi que le terme de cette sanction.
Cela me parait très hypothétique car la sanction est grave et les acheteurs publics n’ont pas tous au sein de leurs équipes le personnel en capacité de garantir le bien-fondé de l’argumentaire et l’utilisation “sans risque” par l’acheteur public de ce type de fichier.
Néanmoins, il n’est pas inconcevable qu’un acheteur public utilise un manquement intervenu en cours d’exécution d’un marché d’une autre entité publique pour justifier une éviction. Le processus sera tout à fait légal et il ne restera plus qu’à l’entreprise qu’à justifier factuellement qu’elle a remédié depuis lors aux “griefs relevés à l’époque” permettant , ainsi, de neutraliser l’argument avancé.
Mise en œuvre de la sanction : le principe du contradictoire
Le candidat concerné ne peut être exclu que s’il a été mis à même de présenter ses observations en défense auprès de l’acheteur public.
On parle de principe de contradictoire et c’est en fait une sorte de droit de réponse préalable à toute possibilité de sanction.
On retrouve là, la même logique que lorsque l’acheteur public détecte une offre anormalement basse. Il ne peut la rejeter sans avoir, préalablement, demandé au candidat de justifier son prix. On est bien dans cette même dynamique.
Concrètement, l’acheteur publique adresse au candidat une mise en demeure assortie d’un délai raisonnable. Il l’invite à établir par tout moyen que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être remis en cause.
L’acheteur public analyse la réponse du candidat et décide, aux vues des éléments transmis, d’écarter ou non le candidat.
Comment éviter la constitution d’un dossier de « blacklistage » à son encontre
En cours d’exécution du marché
En principe, la résiliation correspond au degré ultime de la sanction.
Elle suppose en principe un crescendo allant du courrier simple ou email, vers la mise en demeure en recommandé n°1 puis la n° 2, puis l’application des pénalités et enfin si rien ne bouge, la résiliation.
Pour faire simple, l’acheteur public ne sort pas le bazooka à la première contrariété. Tu as donc la possibilité de remédier à la situation.
Les mises en demeure, l’application de pénalité, les mesures de réfaction (les mesures défavorables concernant la réception) ne peuvent fonder une décision d’exclusion de la part de l’acheteur public. Néanmoins, ce sont des jalons. Chaque jalon passé te rapproche de la sanction.
Neutraliser ces signes avant-coureurs te permettra d’éloigner cette épée de Damoclès.
Quelle est la solution ?
Répondre à certaines demandes si tu ne peux répondre à toutes et demander des aménagements, des délais, trouver des solutions.
L’acheteur public a, lui aussi, des comptes à rendre, donc donne lui des billes, des explications, soit force de proposition. Met tout en oeuvre pour éviter la sanction de résiliation. Potentiellement tu as beaucoup à perdre : blacklisté pour 3 ans.
A réception du courrier informatif émanant de l’acheteur public
L’objectif de ta réponse est finalement de faire une réponse du type “c’est vrai, mais ça, c’était avant… maintenant, des actions concrètes [à décrire] ont été mises en place et permettent de ne plus tomber dans les écueils passés à savoir ….
Il ne faut surtout pas contester le bien-fondé de la résiliation. A l’époque tu ne l’avais pas contesté. Dans le cas contraire et si le contentieux est en cours, il faut s’en prévaloir. La sanction n’est pas définitive puisque l’affaire est toujours “pendante” devant la juridiction.
Pas de sanction antérieure pas de motif d’eviction.
Le plus simple est de reconnaître le dysfonctionnement qui a conduit à la résiliation ou à la condamnation à dommages et intérêts. L’important est de mettre toute son énergie à démontrer que la situation a changé.
- Les retards reprochés ne pourront plus se reproduire car une nouvelle organisation a été mise en place [décrire l’organisation]
- L’entreprise a investi dans le matériel ayant occasionné le manquement. Cela permet de supprimer tout nouveau problème de cet ordre à l’avenir.
- La politique d l’entreprise sur cet aspect a été revue et l’approche est désormais très différente comme le montre les actions [décrire] mise en place dans les derniers marchés obtenus
- (…)
Etre blacklisté est lourd de conséquence. Tu sais désormais comment tu peux l’éviter. Mais, dans tous les cas, le dialogue avec l’acheteur public est primordial.
Echange, trouve de solutions mais montre que tu es présent et assume les problèmes qui sont de ton fait. Rien n’est pire que d’avoir en face une entreprise qui fait l’autruche et attend que ça passe la tête enfouie dans le sable.
Un groupe Facebook est à ta disposition pour échanger, poser des questions et rencontrer d’autres entrepreneurs qui sont dans la même dynamique que toi ! Nous pourrons échanger de manière plus directe sur les thématiques qui t’intéressent