Les pénalités ont 2 intérêts en marché public:
◦ Un effet dissuasif
Tu ne respectes pas tes engagements contractuels, une épée de Damoclès flotte au-dessus de ta tête…
La pénalité sanctionne l’inaction de l’entreprise ou, du moins, un manquement à ses obligations contractuelles.
« Au moindre écart, Bamm ! »
On va dire que ça t’incite à rester sur le droit chemin et à respecter tes obligations contractuelles.
Sinon, Attention ça va taper !
◦ Un effet sanction et « réparation » du non-respect du contrat par l’entreprise que cela cause un préjudice de l’acheteur ou non
C’est une réparation forfaitaire, indépendante du préjudice subi par l’acheteur public.
En phase d’exécution du marché, l’entreprise titulaire n’est pas en position de force.
- Ses obligations contractuelles sont listées dans le cahier des charges, difficile d’esquiver…
- L’acheteur affiche clairement sa capacité à manier le bâton (dixit la pénalité) pour sanctionner tout manquement
Et dans le domaine des pénalités, l’acheteur peut être très … inventif, façon…boite à épingles
Pour qu’elle puisse s’appliquer, 2 conditions doivent être réunies : une pénalité, écrite (voire bien écrite) dans le CCAP, sanctionnant le manquement et une bonne application de la clause.
C’est l’objet de la première partie.
Nous verrons ensuite comment il est possible de l’atténuer, voire la faire disparaitre. Rien de magique, mais quelques bonnes pratiques à la clé dans cette seconde partie.
Ready ? Alors feuuuu !
Les pénalités en marché public sont une « épée de Damoclès » sur l’entreprise
Toutes les obligations contenues dans le cahier des charges peuvent, en théorie, être assorties d’une pénalité.
Je te propose de faire un rapide panorama des pénalités qu’on rencontre le plus souvent et de voir les 2 conditions nécessaires à leurs applications.
Sur quoi peuvent porter les pénalités en marché public
Dans ce domaine, tout est possible.
Le cas le plus classique est la fameuse pénalité de retard…
- dans l’exécution du marché,
- dans le rendu d’un document / d’un livrable
- de livraison entraînant des retards en chaîne
- Retard, retard, retard
Ça peut être aussi une absence, un zappage complet
- Absence à une réunion programmée
- Non-respect
- du planning d’intervention sans explication
- d’une clause d’exécution du marché (ce n’était pas une option)
- Non transmission d’un bilan , étude, compte rendu de réunion…
- La conséquence d’une inaction : l’indisponibilité du service
Il faut avoir en tête que tout est possible… du moment que c’est écrit dans le CCAP et bien écrit et bien appliqué par l’acheteur public.
Les 2 conditions nécessaires pour se voir appliquer une pénalité
La pénalité doit être écrite dans le CCAP et bien écrite et l’acheteur doit avoir respecté la règle du jeu qu’il a lui-même fixé
Une pénalité écrite et, je dirais même plus, bien écrite
Le manquement reproché doit être concerné par une pénalité écrite dans le cahier des charges.
Par exemple,
un rendu est requis semaine X, mais n’a pas été remis…ce retard n’est pas pénalisable, car non prévu dans le CCAP.
La pénalité doit donc être expressément prévue dans le CCAP pour s’appliquer, mais ses caractéristiques doivent y être détaillées :
- Méthode de calcul,
- Point de départ et délai d’exécution,
- Montant de la pénalité (forfait ou pourcentage du montant du marché ou de la tranche concerné).
- Mise en demeure préalable ou non
Le candidat comme le titulaire du marché doit avoir une juste vision de ses obligations contractuelles et des garde-fous mis en œuvre par l’acheteur pour qu’il reste « dans le droit chemin ».
L’application des pénalités n’est pas une finalité pour l’acheteur public. Il préfère de loin avoir un marché qui s’exécute sans accroc.
Prenons d’autres exemples pour illustrer…
« Une remise de document doit être réalisée x jours après notification du marché. À défaut de remise à cette date, une pénalité calendaire commencera à courir à compter du lendemain de la date prévue. La pénalité sera de x € par jour calendaire de retard ».
Dans cet exemple: tout y est :
1-Le manquement
2-La méthode de calcul du montant
3-Le montant calendaire de la pénalité
4- Un avertissement préalable avec possibilité de rectifier le tir ou non (simple constat manquement) avant application effective de la pénalité
Autre exemple :
« Une pénalité calendaire de retard de x€ sera appliquée si le délai d’exécution du marché n’est pas respecté ».
Dans ce cas, l’inobservation des délais de tâches particulières identifiées au calendrier d’exécution des travaux ne peut faire l’objet de pénalités puisque les dispositions contractuelles du marché ne permettent de sanctionner que le retard global de livraison des travaux.
Cf. CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 11/10/2021, 19MA00604, Inédit au recueil Lebon
Enfin, le CCAP peut contenir une « pénalité balai » indiquant par exemple …
« Le manquement répété de l’entreprise à ses obligations contractuelles pourra donner lui à l’application d’une pénalité de xx par jour de retard après mise en demeure d’y remédier dans un délai de X jours. La pénalité commencera à courir le jour suivant le terme du délai laissé à l’entreprise pour remédier à la situation par le courrier de mise en demeure. »
Dans ce cas, pour que la pénalité s’applique il faut :
1-Un manquement répété
2-Signalé chaque fois par l’acheteur à l’entreprise et par écrit (charge de la preuve côté acheteur public)
3-N’ayant pas été solutionné par l’entreprise dans le délai donné par l’acheteur.Répété, à mon avis, ça signifie que l’acheteur en est à son troisième écrit et ça suppose aussi que l’entreprise n’ait pas rectifié le tir.
Autre possibilité,
Même si l’acheteur public ne mentionne pas de pénalité dans son cahier des charges, ça ne signifie pas que c’est « Open bar » !
Il suffit que la CCAP mentionne le CCAG au nombre des pièces générales contractuelles pour qu’il puisse se prévaloir des pénalités types présentes au dit CCAG.
Dans ce cas, cela signifie qu’il applique tel quel le CCAG.
Dans ce cas-là c’est intéressant pour toi, car :
- les nouveaux CCAG (2021) sont plus protecteurs que par le passé :
- Plafond à 10% des pénalités de retard
- Discussion avant « sanction » dans de nombreux cas.
- Les pénalités sont moins nombreuses, de montants plus mesurés et avec une discussion préalable systématique
L’Acheteur public doit respecter la règle du jeu qu’il a lui-même fixé.
Le CCAP fixe la règle du jeu.
Si le CCAP n’indique rien sur les pénalités, regarde les règles fixées par le CCAG visé dans les pièces générales du CCAP.
Le CCAP ne fait pas référence à un CCAG et bien bravo, ton marché n’a pas de pénalité !
Je ne veux pas te faire une fausse joie, car c’est rare que l’acheteur ne pense ni à inclure des pénalités dans son CCAP ni de faire référence à un CCAG.
Prenons le cas où l’acheteur public ait bien prévu des clauses pénales, autrement dit des pénalités dans son CCAP.
Si le CCAP indique qu’une mise en demeure doit être transmise à l’entreprise constatant :
- le manquement,
- le caractérisant
- et demandant instamment de le résoudre dans un délai précis,
En l’absence d’une mise en demeure reprenant chacun de ses points, la pénalité n’est pas invocable.
Cf. CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 29/11/2021, 20MA01748
De la même manière,
Si le CCAP indique que la personne habilitée à engager l’entreprise sur un marché donné peut être représentée par un représentant dument mandaté à cet effet à une réunion de chantier, l’acheteur public ne pourra pas pénaliser l’absence à la réunion.
Les pénalités sont des clauses contractuelles. Il faut donc systématiquement te référer au contrat. Voir ce qui est écrit et comment c’est écrit.
L’idée n’est pas ici de dire à l’acheteur qu’il s’est trompé et qu’il doit faire « comme si ou comme ça » pour que la pénalité soit valable.
Ça reviendrait à se tirer une balle dans le pied tout seul en montrant à l’acheteur comment se servir du fusil.
L’idée est plutôt de faire « canard » sur les erreurs de l’acheteur.
L’acheteur ne pourra exiger la pénalité à la fin du marché si les 2 conditions ne sont pas réunies. Tu le sais. Donc, travaille « ton dialogue » pour éviter la pénalité.
L’objectif est de rester en bon terme avec l’acheteur. Détourner le regard de l’acheteur sur le problème en faisant diversion. L’argument de l’inapplication des pénalités sera à sortir en dernier recours.
Sois STRA-TE-GIQUE !
Eviter les pénalités en marché public [ou du moins les diminuer au maximum] : le jeu du slalom
2 façons de faire à 2 moments clés:
- En cours d’exécution du marché
- À l’issue de l’exécution du marché, à un moment où les carottes sont cuites
La première est à tenter systématiquement. La seconde suppose d’avoir suffisamment de billes, histoire que l’action en justice serve à autre chose qu’à payer des frais d’avocat.
En cours de marché, l’échange et la discussion avec l’acheteur public
L’acheteur public n’est jamais obligé d’appliquer les pénalités. En revanche, cette renonciation de l’acheteur à les appliquer est plus ou moins facile.
Tu dois donc l’aider… à t’aider.
Je m’explique…
Renoncer à l’application d’une pénalité pour l’acheteur public peut se faire plus ou moins dans la douleur,
Allons du plus douloureux au moins douloureux…
- Une délibération prise par l’assemblée délibérante de la structure soumise au contrôle de légalité de la préfecture le cas échéant…
Ça fait mal… Il doit se justifier d’avoir fait « une fleur » à une entreprise en n’appliquant pas une clause contractuelle qui aurait pu rapporter de l’argent à la collectivité.
- Une transaction dans le cadre d’un règlement amiable du litige,
C’est un peu plus confidentiel et discret comme technique, mais ça fait quand même intervenir d’autres directions et la Direction générale ne pourra ignorer cette fleur. Ça fait moins mal, mais il y a bien mieux…
- Une décision unilatérale (OS) ou un avenant prolongeant le délai d’exécution du marché par exemple, mais pas que…
C’est là qu’il faut concentrer tes efforts.
Échange avec l’acheteur public ou son représentant,
Ne fais surtout pas le dos rond en te disant « ça va passer ! »
Ça peut être :
- Trouver des solutions pour modifier l’ordre d’intervention des entreprises,
- Intervenir en 2 temps,
- Rallonger la durée d’exécution du marché…
Prends les devants et ne laisse pas pourrir la situation !
Il vaut toujours mieux un bon accord qu’un mauvais procès
Mets en avant :
- des difficultés d’exécution, quelles soient ou non dues à une cause étrangère aux parties (y compris les éventuels sous-traitants (cf. CAA Douai, 15 mai 2018, Commune d’Harfleur, n° 16DA01392))
- des travaux /prestations supplémentaires décidés par OS impactant le délai et excluant expressément l’application de pénalité de retard par exemple (CE, 16 mai 2012, Communauté d’agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe, n° 345137.).
Du moment que tu as un axe de négociation et d’échange de bons procédés, la discussion peut aboutir à un résultat « gagnant gagnant ».
Le tout est de ne pas « crisper » la discussion inutilement.
Si on s’y est mal pris ou si l’acheteur est hermétique à tout échange sur le sujet, il ne reste plus qu’à peser tes chances d’échapper à la pénalité en saisissant le juge.
En dernier recours, la contestation devant le juge d’un montant manifestement excessif de la pénalité
Le juge administratif a la possibilité de moduler les pénalités, lorsqu’elles s’avèrent « manifestement excessives ou dérisoires », comme le prévoit, en droit privé, l’article 1231-5 du Code civil. (Jurisprudence « OPHLM de Puteaux » CE, 29 décembre 2008, n° 296930)
En revanche, la jurisprudence n’est pas tendre.
Une pénalité s’élevant à 25 % ou 29 % du montant du marché ne présente pas un caractère manifestement excessif (En ce sens, CAA Bordeaux, 7 janvier 2014, no 10BX00160 et CAA Bordeaux, 25 avril 2016, no 14BX00073.)
Alors, bien entendu comme tout jugement, il faut regarder le contexte de chaque affaire, mais, clairement, il va falloir des arguments tangibles pour aller au contentieux.
Un arrêt du Conseil d’Etat (CE, 19 juillet 2017, n° 392707) nous éclaire sur les éléments à rassembler et ceux avec lesquels il ne faut pas s’encombrer.
« Considérant […] que lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu’il modère les pénalités mises à sa charge,
❌ il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n’a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu’il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge ;
✔️ qu’il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif ;
(…) »
Cette exigence est particulièrement contraignante, car l’entreprise sera bien en peine d’obtenir ces « contrats comparables » et, a fortiori, à recueillir les pratiques observées au cours de leur exécution.
Seule la démonstration selon laquelle les caractéristiques du contrat rendaient particulièrement délicate son exécution pourrait, en réalité, lui permettre d’obtenir une modération des pénalités.
Par conséquent, l’entrepreneur pourra faire valoir, par exemple,
- la base de calcul étendue sur laquelle s’appuie la pénalité,
- les efforts réalisés pour mener à bien le marché (arrêts CAA Bordeaux du 25 avril 2016 et du 29 juin 2017 précités)
- le taux particulièrement élevé des pénalités par rapport aux CCAP de marchés comparables ou au CCAG.
- le retard ne porte que sur un élément d’ouvrage dissociable n’empêchant pas la mise en service du reste de l’ouvrage,
- l’achèvement est intervenu dans les faits plus tôt que ne le juge le maître d’ouvrage (CAA Nancy, 13 octobre 2011, n° 10NC00539)
- le retard de livraison n’a pas perturbé le service (CAA Marseille, 5 décembre 2011, n° 09MA01002).
Bien évidemment, plus tu as d’arguments de ce type mieux ce sera.
Certains faits devront au contraire te dissuader d’aller au contentieux :
Par exemple,
- L’absence de réaction de l’entreprise pour rattraper le retard,
- L’importance du retard sur le processus de réalisation de l’opération,
- L’importance du délai de livraison pour des raisons fonctionnelles ou d’image (CAA Douai, 5 juin 2012, n° 11DA00017),
- La modération de pénalités déjà intervenue (CAA Douai, 2 février 2017, n° 15DA00300).
Te voici mieux armé pour survivre aux pénalités en marché public.
En résumé :
- Vérifie comment l’acheteur a écrit la pénalité
- Échange avec l’acheteur public,
- ne pas faire l’autruche
- Sois force de propositions « orientées »
C’est la meilleure façon de survivre aux pénalités.
ooOoo
Mon truc est de te faire entrer dans la tête des acheteurs publics. Ayant travaillé pour eux pendant plus de 20 ans, ça aide. En comprenant leurs attentes et là où ils veulent t’amener, tu sauras préparer tes réponses que ce soit en phase de consultation ou en phase d’exécution du marché.
Pour l’heure, sois stratégique et bons marchés publics !🎯