» Nous sommes au regret de vous informer que la Commission a éliminé votre offre comme irrégulière. »
J’espère que tu n’as jamais reçu un tel courrier… L’offre irrégulière ; un qualificatif « sanction » qui balaie d’un seul revers de la main tout le travail fourni pour répondre à un marché. L’acheteur n’analyse pas cette offre , ne la compare pas. Il l’élimine pour une irrégularité commise.
Le plus souvent, c’est une erreur « bête » si tenté qu’il y ait des erreurs intelligentes. Un oubli, une mauvaise lecture peut suffire au rejet d’une offre.En effet, l‘offre irrégulière doit en principe être éliminée sans être classée.
Voyons ce qu’est une offre irrégulière pour mieux contrer cette qualification « couperet » et voir dans quelles conditions une offre irrégulière peut être « régularisable ».
Définition de l’offre irrégulière
L2152-2 du Code de la commande publique défini l’offre irrégulière.
« Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ».
En d’autres termes, l’irrégularité s’apprécie, d’une part, au regard d’une disposition législative ou réglementaire s’imposant à tous.
Par exemple, une offre sera irrégulière si elle méconnaît l’interdiction, de valeur législative, de sous-traitance totale d’un marché.
Selon la formule consacrée “nul n’est censé ignorer la loi”. Si tu l’ignores, tu es sanctionné.
Je ne vais pas m’étendre sur cette cause d’irrégularité mais sur celle, plus courante, qui découle d’une mauvaise lecture des documents de la consultation.
D’autre part, l’irrégularité s’apprécie au regard des règles de consultation édictées par l’acheteur lui-même, pour chaque procédure de consultation.
Une lecture un peu rapide des pièces peut amener à rendre un dossier incomplet. Selon le “manquement” ton offre verra soit sa note dégradée (moindre mal) soit sera éliminée.
On va se concentrer sur cette cause d’irrégularité. C’est, malheureusement, la plus classique.
Elle consiste en un oubli d’une fiche produit, d’un planning, d’un descriptif de la politique « environnementale » de son entreprise, un ligne du BPU ou pire un onglet complet d’un fichier excel non vu et donc non complété et les jeux sont faits !
C’est d’autant plus fréquent que les temps de réponse au consultation sont souvent serrés et autant le dire, les mémoires techniques à fournir sont souvent construits de la même manière.
Il est donc facile de succomber à la tentation du « copier coller » et c’est là que tu te fais coincer.
Vouloir gagner du temps et au final tomber pour une broutille, un document manquant que tu as, nécessairement et bien évidemment, au bureau.
Ton offre bascule du “côté obscur de la force”.
Y a t’il une alternative ?
Comment contrer efficacement cette qualification couperet ?
Il y a effectivement une fenêtre de tir. Elle n’est pas énorme mais elle mérite d’exister.
Tu dois argumenter que cet oubli, ce manquement était sans doute utile mais non nécessaire à l’appréciation de ton offre.
THE argument : Information manquante utile mais non nécessaire à l’appréciation de l’offre
C’est une histoire corse qui permet d’affiner la définition d’offre irrégulière et donne la possibilité de contrer cette qualification.
Dans cette affaire,(CE 20 septembre 2019, Société VENDASI, req. n° 421075 ), le Conseil d’État rappelle d’abord la règle de base et met en place une distinction permettant de sortir de la qualification et donc de la sanction;
Rappel de la règle de base…
« un pouvoir adjudicateur ne peut pas attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation. Il est tenu d’éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes, c’est-à-dire celles qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières ».
… et mise en place d’une distinction permettant d’éviter la sanction
Le CE tempère en indiquant que « cette obligation ne fait pas obstacle à ce que ces documents prévoient en outre la communication, par les soumissionnaires, d‘éléments d’information qui, sans être nécessaires pour la définition ou l‘appréciation des offres et sans que leur communication doive donc être prescrite à peine d’irrégularité de l’offre, sont utiles au pouvoir adjudicateur pour lui permettre d’apprécier la valeur des offres au regard d’un critère ou d’un sous-critère et précisent qu’en l’absence de ces informations, l’offre sera notée zéro au regard du critère ou du sous-critère en cause ».
Utile mais non nécessaire à l’appréciation de l’offre ➡️ dégradation de la note
Nécessaire à l’appréciation de l’offre ➡️ offre irrégulière ➡️ élimination
Cette jurisprudence est intéressante a un autre titre. Elle indique que même si l’acheteur public a donné la règle de notation, le juge n’est pas tenu de suivre la « logique » de l’acheteur public s’il estime cette règle contraire aux dispositions du code de la commande publique.
Le contrat, qui est pourtant la loi entre les parties, ne s’impose pas au juge. Celui ci peut qualifier d’ »ambiguë » une règle énoncée par l’acheteur public de manière pourtant très claire du moment qu’il ne la cautionne pas.
Dans cette affaire, l’entreprise avait omis de communiquer les fiches techniques des matériaux employés alors même qu’existait un sous-critère sur la qualité des matériaux et des services.
Cette omission lui avait simplement valu un 0 en application du RC. Le RC indiquait « toute absence de renseignement d’un sous-critère sera sanctionnée d’une note égale à zéro ».
Selon le Conseil d’Etat, la cour d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que les fiches techniques en question étaient en réalité nécessaires à l’appréciation de la qualité des matériaux en cause et que nonobstant la mention « ambiguë » du règlement de la consultation, l’omission de transmission de cette information impliquait de constater l‘irrégularité de l’offre et son éviction sur ce fondement.
Il faut donc que l’acheteur public différencie l’utile du nécessaire et il n’est pas certain que le juge suive “sa logique”.
Par conséquent, en cas d’offre déclarée irrégulière, tu devras argumenter sur le caractère, peut être utile, mais non nécessaire de l’exigence méconnue.
Néanmoins, il faut bien avouer que très souvent l’acheteur public régularise les offres. Pour être totalement objective, 2 facteurs vont faire basculer la balance vers la régularisation ou non des offres irrégulières :
- Le nombre d’entreprises ayant présenté une offre régulière
- Les prix des offres régulières… et irrégulières
Quel levier actionner pour ne pas risquer de voir son offre qualifiée d’irrégulière ?
2 leviers à travailler.
Acquérir de la méthode dans ses réponses aux marchés publics
Très souvent, on estime qu’une bonne mise en concurrence requière la réponse d’au moins 3 entreprises.
Par conséquent, si 3 entreprises ont présenté des offres régulières, l’acheteur public va regarder à 2 fois avant de régulariser les offres irrégulières. Car en la matière, c’est tout ou rien comme on le verra plus loin. S’il décide de régulariser les offres irrégulières, il doit faire une demande régularisation « précise » à toutes les entreprises ayant remis une offre irrégulière quel qu’en soit le motif.
Il faut donc être dans ces 3 !
Pour en être, tu dois mettre tout en oeuvre pour ne rien oublier dans ta réponse.
- Utiliser le cadre de mémoire technique de l’acheteur public s’il existe
- Check lister les documents à remettre
- Répondre point par point aux critères de la valeur technique
Cela te parait le summum de l’ennui ? Tout est une question d’approche.
Quand je forme des entreprises à la réponse aux marchés publics, mon approche se fait par le jeu et la stratégie.
Voir les pièges en lisant entre les lignes des cahiers des charges et prendre du plaisir à les déjouer 1 à 1 !
Chacun son trip me diras tu ! 😁
Essaie ma méthode et on en reparle !😉
Bien calibrer ses prix
Oui, je sais. Il y a bien longtemps que l’on ne parle plus de moins disant.
La formule consacrée est l’offre économiquement la plus avantageuse (et non la moins chère). Cela signifie une offre avec le meilleur rapport qualité prix.
Il n’empêche que l’argent reste le nerf de la guerre. Souvent le prix est pondéré à hauteur de 60%; C’est dire l’importance qu’on lui accorde.
Dans tous les cas, et c’est humain, l’acheteur public, même s’il s’en défend regarde immédiatement à l’ouverture des plis, les prix.
Est on dans le budget ? Quel écart par rapport à mon estimation de départ?
Si 3 entreprises ont remis une offre régulière et qu’elles ont les meilleurs prix, je suis sure à 200% que l’acheteur public ne régularisera pas les offres irrégulières.
Je pense personnellement que c’est une bonne chose. Cela évite de faire retravailler les entreprises pour rien : régularisation puis négociation. Si le gap est important à tous les niveaux, tout le monde perd du temps.
On ne m’enlèvera pas de l’idée qu’à un moment donné on bascule vers du marchandage « à la vendeur de tapis ». Clairement, l’acheteur public n’en sort pas grandi.
Par conséquent pour mettre toutes les chances de ton coté ton prix doit être tenable mais compétitif.
Inutile à mon avis de se dire je fais 100 et si je suis en négo je peux aller jusqu’à 10%. Si tu sais que tu vas y aller, va y de suite.
Beaucoup d’offres sont irrégulières. Si tu soignes ta réponse, et sans prise de tête avec ma méthode, tu peux passer direct !
Dans tous les cas, même si l’acheteur veut régulariser, tout n’est pas régularisable.
Qu’est ce qui est « régularisable »?
L’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires dont l’offre est irrégulière à la régulariser, dès lors qu’elle n’est pas anormalement basse (OAB) et que la régularisation n’a pas pour effet d’en modifier des caractéristiques substantielles ».
Et lorsque l’acheteur décide de régulariser, il le fait dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats placés dans la même situation.
Un tri doit être opéré à ce stade : il faut écarter définitivement les offres,
- d’une part, à propos desquelles il est confirmé qu’elles sont anormalement basses et à ce titre non régularisables,
- d’autre part, dont la régularisation aurait pour effet d’« en modifier des caractéristiques substantielles »
Ce qui n’est jamais « régularisable »
L’offre anormalement basse (OAB)
L’article L. 2152-5. du Code de la Commande Publique définit l’OAB comme étant une offre dont le prix est « manifestement sous-évaluée et de nature à compromettre la bonne exécution du marché »
Les prix dépendront en effet du temps passé, des quantités estimées, du nombre de personnel affecté (etc) par le candidat aux vues des exigences du cahier des charges.
L’acheteur focalise son analyse sur l’aspect financier mais n’exclut pas une mise en perspective plus générale pour appréhender si le prix proposé lui fait courir un risque de défaillance (ou d’avenants intempestifs) (CE 1 er mars 2012, Département de la Corse du Sud, req. n° 354159 ).
C’est bien cette analyse globale qui fait toute la complexité du travail d’identification des OAB.
Tu trouveras la semaine prochaine un article dédié sur les OAB.
Exception : quand une OAB découle d’une irrégularité
C’est le cas des erreurs purement matérielles d’une nature telle que nul n’aurait pu ensuite s’en prévaloir de bonne foi : erreur de virgule qui entraîne un prix global anormalement bas
Caractère substantiel d’une offre
Bien évidemment cette notion n’est pas définie par la réglementation.
On peut néanmoins déduire que les éléments de l’offre qui ont une importance déterminante dans l’analyse par l’acheteur au regard des critères de jugement des offres.
Ce qui est « régularisable »
Il n’existe pas de méthode générale et absolue permettant d’identifier les irrégularités «régularisables ».
L’offre doit être irrégulière (et non inacceptable ou inappropriée)
Les offres inacceptables ou inappropriées ne peuvent être régularisées.
Sur les offres inacceptables, l‘article R.2152-1 du code précité permet de rendre « acceptables », et donc de régulariser au sens large, les offres inacceptables à l’occasion des négociations lorsque la procédure de passation permet d’en conduire une.
Par contre, l’acheteur éliminera les offres inacceptables si la négociation :
- n’est pas possible (cas de la procédure d’appel d’offre),
- est exclue (cas en procédure adaptée, si prévu ainsi dans les documents de la consultation).
Rectification d’erreurs purement matérielles d’une nature telle que nul n’aurait pu ensuite s’en prévaloir de bonne foi
Les rectifications d’erreurs matérielles sont possibles (CE 21 septembre 2011, Département des Hauts-de-Seine, req. n° 349149 )
Ainsi un « 0 » en trop ou manquant à un prix unitaire ou encore l’omission d’une information sur un document alors même qu’elle figure sur un autre, peuvent, sans trop de difficulté, donner lieu, en principe, à régularisation.
L’absence de mémoire technique ou d’une partie de celui-ci nécessaire à l’analyse de offres
Cette régularisation est plus litigieuse… Qu’est ce qui est substantiel et qu’est ce qui ne l’est pas ?
L’absence pure et simple de mémoire technique est substantiel, cela ne fait aucun doute.
Pour le reste, tout est question de position de curseur.
L’absence d’élément pour noter un sous critère : substantiel ou non ?
Est-ce que cela dépend de l’importance de la note affectée à ce sous-critère ? Est-ce indifférent du moment que le sous critère est isolé ?
De plus, le CCAP prévoit parfois que le mémoire technique est une pièce contractuelle. Est-ce que cette condition est de nature à influer sur le caractère substantiel de la régularisation ?
Il n’y a pas encore de jurisprudence sur la question…
Le caractère régularisable ou non d’une offre s’apprécie au cas par cas. Tout dépend des pratiques développées et de la sensibilité de l’acheteur public.
Une offre ne pourra donc être éliminée comme incomplète et donc irrégulière, si l’acheteur public est en mesure de procéder par lui-même à sa rectification au moyen du recoupement d’informations contenues dans la réponse de cette dernière (CE 16 avril 2018, Collectivité de Corse du Sud, req. n° 417235 ).
Une pratique qui commence à s’étendre est que le RC mentionne ce qui est substantiel aux yeux de l’acheteur public. Cela permet aux candidats de savoir à l’avance, ce qui est régularisable de ce qui ne l’est pas sur un marché donné.
Dans tous les cas, ce type de régularisation présente un risque pour l’acheteur public. Le juge pourra, potentiellement, la requalifier comme portant sur un élément substantiel. Elle sera, à ce titre, non régularisable.
Conditions d’application de la régularisation : respect des garanties procédurales
L’acheteur peut régulariser et non pas doit réaliser. Il s’agit d’une faculté et non d’une obligation.
En revanche, s’il le fait pour un, il doit le fait pour tous, égalité de traitement oblige.
Principe d’égalité de traitement des candidats
L’acheteur public a la possibilité de régulariser les offres irrégulières mais s’il le fait, il le fait avec tous. En d’autres termes, soit il rejette l’ensemble des offres irrégulières soit il autorise l’ensemble des candidats ayant présenté une telle offre à procéder à sa régularisation.
L’acheteur, s’il décide de régulariser l’offre d’une entreprise doit le faire pour l’ensemble des offres irrégulières. Les écarts entre les notes des offres est sans incidence. Il ne peut pas, par exemple, classer les offres et négocier avec les 3 premières si une d’entre elles est irrégulière.
Les offres irrégulières ne peuvent être classées.
Par conséquent cela signifie que l’acheteur public régularise (ou non), classe les offres régulières et régularisées et élimine celles restant irrégulières malgré la demande de régularisation. Enfin, quand la procédure autorise la négociation, il négocie avec les premières entreprises du classement.
Cela ajoute donc une étape supplémentaire à l’analyse des offres.
Cela signifie également que l’acheteur public interroge, potentiellement une fois de plus les entreprises. Une fois au titre de la régularisation et une autre fois au titre de la négociation.
Veille bien à ce que ce soit fait. S’il y a une rupture d’égalité de traitement, tu tiens un motif pour faire reprendre la procédure.
Délai suffisant et identique pour tous pour régulariser l’offre
La réglementation ne définit pas ce qu’est un délai suffisant. Là encore tout est fonction de la pratique et de la sensibilité des acheteurs publics sur cette question.
Le juge a eu l’occasion de définir la notion de « délai approprié » de régularisation.
Il s’est basé sur un faisceau d’indices tirés du nombre d’éléments à renseigner, de l’enjeu financier du marché, de la connaissance du marché, et a conclu qu’un délai de 48 h pour régulariser était approprié, l’opérateur étant évidemment tenu de respecter cette contrainte.
TA Lille 3 août 2017, ARCELOR MITTAL, req. n° 1706279.
Principe de transparence
L’acheteur public doit indiquer aux soumissionnaires les irrégularités relevées et devant faire l’objet d’une régularisation.
En effet, les candidats ne peut, par exception, que régulariser leur offre. Toute autre modification porterait atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats.
Par conséquent, pas de phrase floue du type “votre offre est irrégulière sur plusieurs aspects, nous vous demandons de la régulariser. A défaut votre offre sera rejetée.”
L’acheteur doit être assez directif et précis dans ses demandes. A défaut, il prend le risque de voir les entreprises modifier leurs offres sur des points dont la régularité n’est pas en cause ou sur des caractéristiques substantielles de l’offre.
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