Voilà un des principaux freins que les entrepreneurs mettent en avant pour ne pas se lancer dans les marchés publics.
Le discours classique est le suivant :
Il faut comprendre le jargon utilisé (frein 1) mais en plus, quand tu en as décroché un, tu regrettes presque…Les délais de paiement pratiqués peuvent mettre ton entreprise en danger (frein 2) !
Info ou intox ?
Et bien, je viens de lire un étude, un peu soporifique il faut bien l’avouer, sur les délais de paiement. Il s’agit du “Rapport annuel de l’Observatoire des délais de paiement de 2018” (publié en avril 2019).
Les chiffres présentés sont très intéressants. Ils permettent de regarder la réalité en face.
Du concret, des données chiffrées face aux rumeurs et aux cas particuliers.
A vraie dire, les résultats de cette étude m’ont surpris. J’ai travaillé plus de 10 ans pour un bailleur social et les délais de paiement étaient un motif de « gueguerre » entre services opérationnels et service de comptabilité. Clairement, les fournisseurs en faisaient les frais.
Quand le juridique était informé, la situation était déjà « bien pourrie ».
Et on assistait à une conversation du type :
Juridique à compta : Je reçois un courrier d’avocat me signalant que son client est toujours en attente de sa facture n°xxx
Compta à juridique : Effectivement la facture a bien été saisie mais est en attente du « service fait » de la part du service opérationnel
Juridique à service opérationnel : Je reçois un courrier (…), la compta m’indique attendre le « service fait ». Quel est le problème ?
Opérationnel : La facture a été bloquée….
Juridique : Blo…quoi ? Mais, sur quel fondement ? Où est il écrit que l’acheteur public peut bloquer une facture et la suspendre dans l’espace temps jusqu’à … C’est quoi le problème au fait ?
Opérationnel : Erreur dans la facture, attente d’un avenant, problème dans l’exécution du marché, absence de la personne suivant ce marché…..
Bref, le plus souvent, rien qui justifie un blocage de facture….mais une négligence qui peut coûter cher à l’entreprise en face.
Par conséquent, je commence par te livrer les résultats de l’étude, puis quelques conseils pour ne pas subir ces délais.
La réalité sur les délais de paiement dans les marchés publics …et dans le privé
Les tableaux suivants sont issus de cette étude.
Délais de paiement dans le public
Les délais de paiement sont différents selon les types d’acheteurs publics :
- La grande majorité des acheteurs publics (Etat, ses établissements publics à caractère administratif, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux (dont les Offices publics de l’habitat)) : 30 jours
- Les hôpitaux et services de santé des armées : 50 jours
- Les entreprises publiques (SNCF, RATP, EDF, sociétés d’économie mixte locales, sociétés publiques locales, SA d’HLM ….) : 60 jours.
Le point de départ du délai est la date de réception de la demande de paiement par les services de l’acheteur public ou la date d’exécution des prestations si elle est postérieure à la demande.
Il y a retard de paiement lorsque les sommes dues à l’entreprise ne sont pas versées par l’acheteur public à l’échéance prévue par le marché ou à l’expiration du délai de paiement alors que l’entreprise a, elle, remplie ses obligations contractuelles (prestation réalisée).
Dans ce 1er tableau, la colonne du milieu (valeur médiane) est intéressante. Elle précise le délai global de paiement le plus fréquent chez les différents acheteurs publics énumérés dans l’étude.
Petit aparté sur la différence entre valeur moyenne et valeur médiane. parce que moi, j’ai fait du droit notamment pour ne plus faire de math !😁
Et j’avoue que moyen, médian.. Ce n’était pas super clair pour moi.
Par conséquent, je te partage le truc du jour 🧐qui me fera me coucher moins bête ce soir (expression paternelle 🥴).
Différence entre valeur moyenne et valeur médiane :
Valeur moyenne : somme de tous les délais divisé par le nombre de délais comptabilisés = valeur moyenne des délais
Valeur médiane : on range les valeurs des délais dans l’ordre croissant, on divise le nombre de valeurs par 2 et on prend la valeur centrale. Cela revient à neutraliser les délais extrêmes dans un sens comme dans l’autre. On pourrait faire le parallèle avec le principe sauf exceptions.
En principe, le délai de paiement en 2018 varie entre environ 11 jours (pour les communes de moins de 500 habitants) et 31 jours (hors EPS (Etablissements publics de santé)).
Quand on sait que le délai légal de paiement est de 30 jours en marchés publics (sauf exceptions: EPS et Entreprises publiques), c’est bien loin du cliché de mauvais payeur qui colle à la peau de l’acheteur public.
Il y a quand même des ratés. La colonne la plus à droite présente les pires délais de paiement constatés par catégorie d’acheteur.
Les « perles des délais de paiement », quasi 50 jours parfois.
On est un peu loin de la légende urbaine qui met tous les acheteurs publics dans le même panier des mauvais payeurs…
On remarque une tendance : plus la structure de l’acheteur public est « petite » plus ça paie vite
Voyons maintenant les délais de paiement des entreprises privées.
Délais de paiement dans le privé
Dans le tableau ci dessous issu de la même étude, la lecture n’est pas la même.
On parle en jours de retard. Le délai de paiement est librement défini entre les parties. Il ne peut, néanmoins, excéder 60 jours. Il est fixé à 30 jours en cas de silence du contrat hors cas particuliers réglementés.
Les entreprises privées paient avec 10 jours de retard en moyenne une facture sur 2. La taille de l’entreprise impacte, là encore, les délais de paiement.
Plus l’entreprise est importante, plus les retards de paiement sont élevés. Ils peuvent aller jusqu’à 15 jours de retard par rapport à ce qui a été convenu au contrat.
C’est en tout cas ce que révèle les 2 tableaux ci-dessous extraits de l’étude.
Comme quoi, il faut se garder des clichés…
Par conséquent, pour comparer les délais de paiement public/privé , si on fixe à 30 jours le délai de paiement contractuel, le meilleur payeur n’est pas celui que l’on croit !!
Selon l’acheteur public qui sera ton client, pas sure qu’une entreprise privée fasse mieux.
Privé comme public, plus la structure est petite plus les délais de paiements sont réduits.
Les délais de paiement dans les marchés publics se sont beaucoup améliorés. Il faut dire que la dématérialisation a, là encore, frappé avec la mise en place du portail CHORUS PRO pour la majorité des acheteurs publics. Beaucoup de ceux non concernés par chorus pro ont également dématérialisé la facturation pour supprimer le stockage papier. Cela permet de savoir où les éventuels blocages se cristallisent dans le circuit de validation de la facture au sein des organisations.
Un client public paiera toujours. Il faudra respecter ses règles tatillonnes (rappeler le numéro du marché sur la facture, si c’est un marché de travaux, rappeler également peut-être les précédents acomptes) ce qui améliorera le processus de paiement et évitera tout gel pour une question de pure forme.
Autre point important, pendant la crise covid 19, les impayés ont explosés. Les entreprises privées face à un avenir incertain ont “bloqué” les paiements pour conserver leurs liquidités au détriment de leurs fournisseurs et sous-traitants. C’est moins vrai pour les acheteurs publics qui, par nature, sont solvables.
Comment ne pas subir les délais de paiement ?
En prévention : 2 conseils pour ne pas induire des délais de paiement plus longs
Voici 2 conseils pour éviter des délais sur les délais.
Bien indiquer les mentions impératives demandées sur les factures
Les joies du formalisme jusqu’au bout !
Dans le cahier des charges, tu trouveras les délais de paiement et les mentions devant figurer dans la facture.
Fait toi un modèle de facture répondant aux » exigences » de l’acheteur public en début de marché.
Tu pourras l’utiliser pendant la durée de ton marché et être sure que tes factures ne seront pas rejetées pour des questions de pure forme.
C’est toujours 🤬… »fatiguant » quand on a fait le job et que le client quel-qu’il soit rechigne à payer pour des détails, qui sont pour toi, insignifiants et sans commune mesure avec le travail fourni …
Néanmoins, c’est … CONTRACTUEL donc applique. Fait toi un modèle et passe à autre chose. Ça ne mérite pas d’y perdre plus de temps mais t’évitera beaucoup d’énervement par la suite quand on te dira que tu a oublié la référence à ton marché ou le code d’identification du service en charge du paiement.
Et oui, tu n’es pas maître de ta facturation ou du moins des mentions figurant dessus. Un grain de sable peut gripper le système donc joue le jeu car au final cela va te coûter en délais de paiement.
Insister voire harceler pour recevoir ses bons de commande jusqu’à bonne réception
Sans numéro d’engagement (inscrit sur le bon de commande ou tout autre support) ➡️ pas de facturation possible.
L’acheteur public, aussi, n’aime pas faire de l' »administratif ». Il préfère se concentrer sur de l’opérationnel. Sauf, que si l’engagement n’a pas été enregistré dans le système d’information comptable de l’acheteur public, ta facture est « sans fondement ». Elle ne répond à aucune commande enregistrée.
Par conséquent, si tu ne veux pas travailler « pour la gloire », demande sans attendre le numéro d’engagement correspondant aux prestations que l’on te demande de réaliser. Cela évitera des délais, dû à la négligence de l’acheteur public, certes, mais qui peuvent fragiliser la santé financière de ton entreprise.
De manière curative : utiliser les sanctions des retards de paiement
Les intérêts moratoires = un droit
Les intérêts de retard courent de plein droit à partir du jour suivant celui de l’expiration du délai global jusqu’à la date de mise en paiement de la facture.
En principe, ils sont « mandatés » d’office en comptabilité publique (CHORUS PRO) mais c’est moins systématique en comptabilité privée. Il appartient à l’entreprise « victime » de les réclamer. Or, c’est rarement le cas, sans doute pour préserver ses bonnes relations avec l’acheteur public.
Or, pour déterminer un bon fournisseur, l’acheteur public va plutôt considérer la qualité des prestations réalisées, dans le temps imparti avec la bonne réactivité et attitude quand il y a un imprévu. Le fait que son fournisseur ferme les yeux sur ses délais de paiement à rallonge parait anecdotique à côté.
De plus, tu ne t’adresses pas au même service (service opérationnel versus service comptabilité). Ils ne se parlent pas forcement, surtout si la structure est importante.
Donc n’hésite pas. Réclame tes intérêts moratoires. ils sont de droit et à coté de cela reste professionnel. C’est ça que l’acheteur public recherche : un pro qui réalisera les prestations telles que prévues au cahier des charges.
Tu remplies tes obligations, l’acheteur public doit remplir les siennes.
Le paiement tel que prévu dans le contrat (montant et timing) est la contrepartie de ton travail.
Si tu es curieux, voici un outil te permettant de calculer ce montant des intérêts moratoires auxquels tu as droit !
L’injonction de payer vis à vis des acheteurs publics de droit privé
Elle n’est pas ouverte contre les acheteur public de droit public mais est très pratique contre ceux de droit privé type SA HLM, SNCF …
Bien évidemment il faut y aller crescendo :
- courrier simple,
- mise en demeure de payer suite à courrier resté sans réponse,
- 2 nde mise en demeure avec délai au delà duquel tu seras au regret de devoir utiliser les mesures qu’il convient,
- et ce n’est qu’ensuite que tu utilises l’injonction de payer.
C’est une procédure judiciaire simplifiée, utilisable quand la dette a pour origine un contrat. Elle est gratuite pour les créances jusqu’à 10 000 €.
Elle consiste à compléter un document cerfa et de l’accompagner de tous les pièces justificatives prouvant le bien-fondé de la demande (bon de commande, contrat, facture impayée, lettres de mise en demeure…).
Le tribunal compétent est le tribunal d’instance (TI) ou le tribunal de proximité du siège social du débiteur (l’acheteur public « privé »)
La procédure n’est pas contradictoire et se fait uniquement sur la base des pièces » communiquées par le créancier.
Si le juge estime la requête justifiée, il rend une « ordonnance portant injonction de payer » pour la somme qu’il retient.
Si, au contraire, le juge rejette la demande, le créancier (celui qui réclame le paiement) ne dispose d’aucun recours, mais il peut engager une procédure judiciaire classique(de la même manière que pour les créances supérieure à 10 000 € avec avocat obligatoire.
Le créancier (entreprise) doit transmettre l’ordonnance d’injonction de payer au débiteur par huissier de justice, à ses frais, au moyen d’une copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance.
Le débiteur dispose d’1 mois à partir de la réception de l’ordonnance pour la contester auprès du tribunal qui l’a rendue.
Passé le délai d’un mois, celle-ci devient une décision de justice définitive qui peut alors justifier des actes de saisies.
La réception d’une injonction de payer par l’acheteur public (de droit privé) débloque les paiements de manière « magique », tu peux me croire. Et ce n’est pas l’entreprise qui est « black-listée » mais les services qui sont sommés de s’expliquer sur le « comment est il possible d’en arriver là ».
L’acheteur public n’aime pas la publicité surtout s’il en fait les frais. Etre qualifié de mauvais payeur n’est pas très bon pour ses affaires. J’en viens donc à évoquer la dernière sanction : la publicité.
La « publicité » de type « name and shame » + Amende pour les entreprises publiques
Cela consiste à toucher la réputation des entreprises pour faire appliquer la réglementation.
Le « name and shame » est issue d’une pratique en vogue dans les pays anglo-saxons. Cela revient à nommer une entreprise ou une personne qui n’a pas respecté certaines exigences réglementaires ou se serait mal comportée (#balancetonporc).
Cela n’est possible que contre les entreprises publiques qualifiées de pouvoirs adjudicateurs (voir l’article, un marché public, c’est quoi et plus précisément le paragraphe sur les acteurs)
Le retard de paiement constaté par les agents de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) donne lieu, en sus des intérêts moratoires, au paiement d’une amende administrative. Son montant ne peut dépasser 2 millions d’euros sauf cas de récidive (article L. 2192-15 du code de la commande publique).
Cela ne rentre pas dans ta poche mais cela permet, à coup sure, aux entreprises (privées comme publiques) de revoir leurs priorités organisationnelles.
Les sanctions peuvent être très lourdes :
EDF : amende de 1,8 million d’euros en 2019
SFR : amende de 3,7 millions d’euros à la suite de manquements répétés au respect des délais de paiement entre entreprises.
Ce cadre législatif renforcé « doit désormais permettre une prise de conscience accrue, notamment au sein des grandes entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, et se traduire par une amélioration des délais moyens de paiement » .
dixit le secrétaire d’état.
On va dire que c’est de la pédagogie « vache ».
Tu sais désormais ce qu’il te reste à faire.
Les délais de paiement sont toujours trop longs. Néanmoins, peut être que la sphère publique est stigmatisée plus que de raison.
C’est en tout cas la conclusion du rapport présenté.
Si tu as besoin d’être payé rapidement, oriente toi vers les petites collectivités.
Dans tous les cas, c’est un frein à « dégonfler ». L’herbe n’est pas forcement plus verte ailleurs.
Répondre à un marché public, c’est acquérir de la méthode. Ce site à pour ambition de t’apporter de l’information sur le sujet.
Un groupe Facebook est également a ta disposition pour échanger, poser tes questions et rencontrer d’autres entrepreneurs qui sont dans la même dynamique que toi !