L’établissement du décompte général constitue l’étape ultime de l’exécution financière du contrat. Il récapitule l’ensemble des éléments actifs et passifs résultant des parties au marché public.
Le solde de ce décompte va déterminer la situation créancière ou débitrice de l’entrepreneur à l’égard de l’acheteur public à la fin du chantier.
On voit ensemble comment est établit ce document selon la nature du marché et les références faites aux CCAG Marchés Publics.
Etablissement d’un DGD en marché public,sans accroc !
Le déroulé est fonction de 2 facteurs :
- Le CCAG Marché public de rattachement
- Le contenu du CCAP : CCAG visé (oui/non) et dérogations listées au CCAG listées (oui/non)
Examinons le 1er facteur car le second, par définition, est propre aux conditions particulières de chaque marché.
Marché de travaux faisant référence au CCAG Marchés Publics travaux
Sous réserve qu’il soit visé comme pièce contractuelle et que le CCAP n’en dispose pas autrement, la procédure d’établissement du décompte général est définie par les articles 13.3 et 13.4 du CCAG travaux 2009 modifié par l’arrêté du 3 mars 2014.
Etape 1 – dans les 30 jours suivant le prononcé de la réception, le titulaire établit un projet de décompte final qui récapitule l’ensemble des sommes qu’il estime lui être dues au titre de l’exécution du marché.
Je te conseille d’envoyer ce projet par lettre recommandée avec accusé de réception au maitre d’œuvre et à l’acheteur public et de bien conserver les retours de récépissés signés.
Le titulaire est lié par les indications figurant dans ce document qui est simultanément notifié au maître d’œuvre et à l’acheteur public.
Etape 2 – À réception de ce document, le maître d’œuvre prépare le projet de décompte général qui est égal au résultat du récapitulatif des acomptes mensuels et du solde puis le transmet au maître de l’ouvrage.
Etape 3 – À partir de ce document et au plus tard 30 jours après la remise du projet de décompte final de l’entreprise, l’acheteur public établit et notifie au titulaire le décompte général.
Vient ensuite 2 possibilités :
- Cas n°1 : L’acheteur public notifie au titulaire le décompte général dans le délai
- Cas n°2 : L’acheteur public ne notifie pas au titulaire le décompte général
Prenons le cas classique (cas n°1), l’acheteur public répond. Les étapes suivantes sont :
Etape 4 – Dans un délai de 30 jours à compter de cette notification, l’entreprise renvoie au représentant du pouvoir adjudicateur avec copie au maître d’œuvre, le décompte général signé avec ou sans réserve.
Ces réserves prennent alors la forme d’un mémoire en réclamation tel que prévu par l’article 50.1.1 alinéa 3 du CCAG travaux.
Etape 5 – L’acheteur public a 30 jours pour répondre à compter de la réception du mémoire en
réclamation de l’entreprise.
L’acheteur public instruit la réclamation et consulte, à cet effet, son maître d’œuvre. Il a 30 jours pour notifier sa réponse à compter de la réception du mémoire (art. 50.3 du CCAG travaux). A défaut de retour dans ce délai, le mémoire est implicitement rejeté.
En cas d’échec de la procédure de règlement amiable du litige, le titulaire du marché peut saisir le juge administratif, étant rappelé qu’il « ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation » (article 50.3.1).
Par conséquent,
- L’absence de tout mémoire en réclamation préalable à la saisine du juge administratif rend cette dernière, même en référé, irrecevable (Conseil d’Etat, 16 décembre 2009, n° 326220).
- Le mémoire doit reprendre les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général, lesquelles n’auraient pas fait l’objet d’un règlement définitif (article 50.1.1).
Ainsi, s’il n’a pas été statué sur la réclamation formulée en cours d’exécution à la date de la notification du décompte général, tu dois la reprendre dans le mémoire en réclamation sous peine de voir le décompte devenir définitif sur ce point, même si un litige est en cours devant le juge administratif (Conseil d’Etat, 11 juillet 2008, n° 281070).
Etape 6 – Le titulaire a 6 mois à compter de la décision, expresse ou tacite, de l’acheteur public pour saisir le juge
A défaut, le décompte devient définitif (articles 50.3.2 et 50.3.3).
Prenons le cas dérogatoire (cas n°2), l’acheteur public ne répond pas. Les étapes suivantes sont :
Etape 4 bis – Si l’entreprise n’a rien reçu dans ce délai de 30 jours à compter de l’avis de bonne réception de son projet de décompte final, elle peut notifier un projet de décompte général à l’acheteur public avec copie au maître d’œuvre.
L’acheteur dispose alors d’un délai de 10 jours pour notifier le décompte général du marché au titulaire, faute de quoi (non-respect du délai ou absence de notification du décompte), le projet de décompte général établi par le titulaire devient le décompte général définitif. On parle alors de décompte général définitif tacite, qui liera le maître de l’ouvrage, fût-il inexact.
Par conséquent, au plus tard 3 mois et 11 jours à compter de la réception du chantier, le DGD peut être établi.
Attention néanmoins, le CCAP peut déroger au CCAG.
Il peut, par exemple, neutraliser le décompte général tacite s’il déroge à l’article 13.4.4 du CCAG travaux ou préciser que le décompte du marché ne sera notifié au titulaire qu’une fois toutes les réserves le concernant levées.
Par conséquent, regarde bien le contenu du CCAP sur ce point. Si rien n’est prévu, et que le CCAG Marché Public de Travaux est visé, ce dernier s’applique.
Poussons un peu plus loin…
Si le CCAP déroge au DGD tacite, quelle solution pour se faire payer ?
Dans ce cas-là, on revient à la solution qui prévalait avant la réforme du CCAG de 2014 à savoir :
1 – mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception (LR+AR) de l’entreprise vers l’acheteur public d’établir le décompte général.
2 – saisie du juge en cas de silence de l’acheteur public passé le délai de 30 jours pour qu’il se substitue à l’acheteur public et établisse le décompte général du marché.
Le juge compétent peut tout à fait être le juge du référé provision.
En effet, le Conseil d’Etat dans son arrêt du 10 juin 2020, Société Bonaud , req n° 425993, rappelle que ce recours peut prendre la forme d’une demande de provision sur le solde du marché.
Il étend la solution adoptée pour l’application des dispositions du CCAG travaux relatives aux réclamations (CE 27 janvier 2017, Société Tahitienne de Construction, req. n° 396404) en estimant que la mention de « tribunal administratif compétent » englobe le juge du référé provision.
Si l’acheteur public produit le décompte après la saisine du juge, la requête ne perd pas son objet et il appartiendra au juge d’établir le solde du marché et de condamner l’acheteur public au versement de ce solde.
Ce solde correspond à une « obligation non sérieusement contestable » au sens de l’article R. 541-1 du Code de justice administrative. Le principe général du droit en vertu duquel “une personne publique ne peut être condamnée à verser une somme qu’elle ne doit pas” ne permet pas à l’administration de s’opposer au paiement du solde d’un décompte général devenu définitif.
Marché faisant référence à un autre CCAG Marchés Publics
Les autres CCAG sont plus laconiques sur le sujet et je vais donc aller très vite sachant qu’on reste sur la même logique d’échanges en vue de l’établissement de ce document final.
- Articles 11.8.1 et suivants du CCAG FSC pour les marchés de services et ou de fournitures
- Articles 11.8.1 et suivants du CCAG PI, également, pour les marchés de prestations intellectuelles
Comment contester le contenu du décompte général en marché public ?
On est l’étape 3 du déroulé de l’établissement d’un DGD sans accroc, pour te re-situer.
Le Décompte Général émane de l’acheteur public, sur proposition du maitre d’œuvre en marché de travaux.
Tu as 30 jours pour l’accepter ou le refuser en émettant des réserves. Ces réserves vont nécessairement prendre la forme d’un mémoire en réclamation (on va le voir un peu plus tard).
Avant de dire oui ou non autant savoir ce que doit contenir ce décompte général
Le contenu du Décompte Général (qu’il soit Définitif ou non)
Le Décompte Général doit récapituler l’ensemble des dettes et créances des parties nées de l’exécution du marché, qu’il s’agisse des obligations initialement prévues, ou de celles nées à l’occasion de l’exécution du marché, notamment au titre de la responsabilité contractuelle.
Ont ainsi, notamment, vocation à entrer dans le Décompte Général :
- le montant des prestations prévu dans le marché
- Rappel des Acomptes déjà payés
- Solde du marché,
- le montant des sujétions imprévues ou des travaux/prestations supplémentaires,
- les intérêts moratoires dus en cas de retard dans le paiement d’acomptes ou d’avances,
- le coût de réparation des éventuelles malfaçons,
- le montant des pénalités de retard imputées à l’entreprise,
- les frais d’un éventuel marché de substitution,
- Réserves éventuelles
- Indemnités résiliation éventuelles
- Réfactions éventuelles
Formalisme de la contestation du Décompte Général par l’entreprise
Constitution d’un mémoire en réclamation
Constituer une réclamation est une étape incontournable dans la résolution contentieuse du différend. C’est un préalable obligatoire à la saisine du tribunal administratif.
Le Contenu d’un mémoire en réclamation.
Le contenu du mémoire en réclamation est identique quel que soit le CCAG de rattachement du marché.
Il doit comporter :
- Énoncé du différend
- Exposé précis et détaillé des chefs de réclamation
- Montants des sommes dont le paiement est réclamée/contestation des pénalités
- Justifications de ces demandes (bases de calcul des sommes réclamées/ prestations effectuées /justifications du retard ou autres causes des pénalités)
Art. correspondants dans chaque CCAG : art. 50.1.1. du CCAG Travaux, art. 40.1 du CCAG-PI, art. 37 du CCAG FCS.
Le mémoire en réclamation doit donc indiquer le montant des sommes demandées et préciser de façon détaillée les chefs de réclamation sous peine de « disqualification » de ce mémoire en simple lettre ne s’analysant pas comme un recours préalable – Conseil d’Etat, 29 janvier 1993, n° 121129.
En conséquence, une lettre sans les mentions requises ne peut être qualifiée de mémoire en réclamation.
Le différend doit être caractérisé et les points de désaccord énumérés clairement sans qu’il figure une petite phrase du type “Je demeure à votre entière disposition pour m’entretenir avec vous de la faisabilité de cette solution » laissant entrevoir plusieurs options et indiquant que le titulaire restait à la disposition de l’acheteur public.
Le juge a prononcé, en l’espèce, une décision d’irrecevabilité du mémoire de réclamation au motif que la condition de l’existence d’un différend n’était pas remplie (CE arrêt du 26 avril 2018, « Communauté d’agglomération Toulouse Provence Méditerranée », n°407898).
Par conséquent, pas de formule de politesse qui peut être lu comme une ouverture possible vers une solution…autre. Il n’est plus temps de négocier, maintenant tu réclames.
De la même manière, une simple facture n’est pas un mémoire en réclamation (Conseil d’Etat, 15 février 2012, n° 346255).
Le mémoire en réclamation fige le périmètre des demandes que le titulaire sera en mesure de formuler devant le juge administratif dans l’hypothèse où l’acheteur public n’accède pas à sa demande (article 50.3.1 CCAG Travaux).
Par conséquent, si parfois il faut en garder “un peu sous le pied” et ne pas donner tous ses arguments à la partie adverse en phase amiable, il en va différemment en matière de réclamation. L’acheteur public doit pouvoir “statuer” sur la demande au regard de l’ensemble des arguments développés par l‘entreprise.
C’est le sens exact du premier alinéa de l’article 50 du CCAG Travaux : « Le représentant du pouvoir adjudicateur et le titulaire s’efforceront de régler à l’amiable tout différend éventuel relatif à l’interprétation des stipulations du marché ou à l’exécution des prestations objet du marché. »
A qui l’adresser et comment ?
Le mémoire en réclamation doit être adressé à l’acheteur public avec copie au maitre d’œuvre (art.50.1.1 CCAG travaux). En lettre recommandée avec accusé de réception pour les 2.
Pas de petite économie sur ce type d’envoi
Délais différents selon la nature du marché et le CCAG de rattachement pour transmettre son mémoire en réclamation.
Sous réserve que le CCAP ne précise pas de dispo spécifiques dérogatoires sur le sujet, le délai de dépôt du mémoire en réclamation est de :
- 30 jours en marché de travaux
- 2 mois en marché de prestations intellectuelles ou de fournitures et services courants,
Selon la nature du marché
- En travaux
Le titulaire peut faire connaître ses réserves sur le décompte général ou les motifs de son refus de le signer dans le cadre d’un mémoire en réclamation dans les 30 jours à compter de la date de réception (dite certaine et justifiable) de notification dudit décompte part l’entreprise. (art. 13.4.3 du CCAG Travaux).
Une notification sera à date certaine et justifiable si elle a été envoyée en lettre recommandée avec accusé de réception ou en lettre recommandée électronique (LRE).
- Dans les autres natures de marché
L’article 37.2 du CCAG FCS, 37 du CCAG PI, l’article 42.2 du CCAG MI et l’article 47.2 du CCAG TIC prévoient, dans des termes strictement identiques, que : « tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l’objet, de la part du titulaire, d’une lettre de réclamation […] Cette lettre doit être communiquée au pouvoir adjudicateur dans le délai de 2 mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion.
Un arrêt de la CAA de Marseille le 1er avril 2019 req. n° 18MA00543 a précisé que la notification d’un décompte de résiliation au titulaire, en application de l’article 34.1 du CCAG PI « doit être regardé comme ayant fait naître un différend au sens de l’article 37 de ce même cahier ».
On retombe donc sur la formulation consacrée en travaux et c’est somme toute assez logique car pour exprimer un désaccord encore faut-il être informé officiellement “d’une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l’acheteur”.
Le délai de forclusion de 2 mois (signifiant qu’au-delà de ce délai tu es réputé avoir accepté la mesure du type “qui ne dit mot consent”) est à considérer dès que tu reçois “une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l’acheteur et faisant apparaître le désaccord » ou au contraire suite au « silence gardé par l’acheteur à la suite d’une mise en demeure adressée par le titulaire du marché l’invitant à prendre position sur le désaccord dans un certain délai ».
Le Conseil d’État dans un arrêt du 29 novembre 2019 Société Gom Propreté, req n°417752 distingue 2 hypothèses :
-
- Lorsqu’un différend résulte d’une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l’acheteur et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d’irrecevabilité de la saisine du juge du contrat.
- En revanche, en cas de prise de position implicite et équivoque de l’acheteur public ou en l’absence de réponse de ce dernier à une demande du titulaire dépourvue de tout délai insusceptible d’être assimilée à une mise en demeure, ni la notion de différend ni le délai associé, n’ont vocation à s’appliquer et le titulaire peut saisir le juge directement. C’est ce qu’il ressort de l’arrêt CE 27 novembre 2019, Société sociétés SMA Propreté, SMA Environnement et SMA Vautubière, req n° 422600.
Détermination des points de départ et d’expiration du délai
Point de départ du délai
Le délai commence à courir à 0 heure, le lendemain du jour où s’est produit le fait qui sert de point de départ à ce délai.
Expiration du délai
- Le principe : une rigueur mathématique
Lorsqu’il est exprimé en jours, le délai s’entend en jours calendaires, inclut les samedis, dimanches et jours fériés et expire à minuit le dernier jour du délai.
Art. correspondants dans chaque CCAG : Art. 3.2.2 du CCAG travaux 2009, CCAG PI 2009, CCAG FCS 2009, CCAG MI 2009 et CCAG TIC 2009.
Lorsque le délai est fixé en mois, il est compté de quantième en quantième (c’est à dire de date à date). S’il n’existe pas de quantième correspondant dans le mois où se termine le délai, celui-ci expire le dernier jour de ce mois, à minuit.
Art. correspondants dans chaque CCAG : Art. 3.2.3 du CCAG travaux 2009, CCAG PI 2009, CCAG FCS 2009, CCAG MI 2009 et CCAG TIC 2009.
Enfin, lorsque le dernier jour du délai est un samedi, un dimanche ou un jour férié, le délai est prolongé jusqu’à la fin du premier jour ouvrable qui suit, à minuit.
Art. correspondants dans chaque CCAG : Art. 3.2.4 du CCAG travaux 2009, CCAG PI 2009, CCAG FCS 2009, CCAG MI 2009 et CCAG TIC 2009.
- Un tempérament jurisprudentiel sur le délai d’acheminement postal
L’appréciation du respect du délai doit tenir compte du caractère normal ou anormal du délai d’acheminement postal des réclamations.
En l’état actuel de la jurisprudence, le délai d’acheminement d’une lettre adressée en recommandé de l’ordre de 6 ou 7 jours est considéré comme anormalement long, sauf lorsque ce délai comprend un ou plusieurs jours fériés.
La semaine prochaine on poursuit sur la notion de DGD et sur son effet barrage faisant de lui ton ami ou ton ennemi en fonction de son contenu.
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